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Philippe Boutibonnes "Album blanc..." (épisode 1)

Philippe Boutibonnes
Album blanc...
(1973)



***

Une petite histoire : Il y a une quinzaine d'années environ, je trouve dans une librairie à Caen le numéro 5 de la revue TXT (mon graal de l'époque, atteint depuis pas si longtemps : constituer une collection complète de la revue). Je l'achète donc, je rentre, café et tout le bordel, et je commence ma lecture. J'ouvre et j'y trouve inséré ce texte de deux feuillets pliés, en plus d'une jolie carte pour une exposition Busto + Boutibonnes de 1973 à la Maison de la culture de Rennes.
En étudiant les écrits de l'époque des membres de TXT, je conclus qu'il s'agit d'un texte de Philippe Boutibonnes (j'ignore alors qu'il habite à Caen et avec le recul, je me dis que cet exemplaire lui a peut-être appartenu). Je ne vais pas plus loin et je referme le tout une fois lu. En 2014 seulement, je lui adresse une lettre pour avoir plus d'informations et lui demander l'autorisation de le publier sur ce blog. Répondant (avec une grande gentillesse), Philippe Boutibonnes me confirmera être l'auteur de ce texte sur André-Pierre Arnal qui fût écrit "dans un style qui lui fait honte" à l'occasion d'une exposition qui s'est tenu en 1973, peut-être à Montpellier.
En suivant ses informations, les "traces" laissées et en supposant que Philippe Boutibonnes a une mémoire facétieuse ou selon lui "chaotiquement lacunaire", il peut s'agir de l'exposition collective Supports/Surfaces de 1974 au Musée Fabre (à Montpellier donc), ou de l'exposition Arnal + Boutibonnes de 1974 à la Maison de la culture de Rennes, alors régulièrement investie par le groupe TXT. Je n'ai trouvé (ni vraiment cherché) aucun catalogue qui permette de confirmer pour quelle exposition avec André-Pierre Arnal le texte était destiné ou même s'il a finalement été publié un jour. Tout cela reste à vérifier... Maintenant, cherchez !
Inutile de préciser que ce texte, malgré les gimmicks de l'époque qui nécessitent les lunettes adaptées, n'a absolument rien de honteux... D'où sa publication, aujourd'hui, maintenant.


Un des pliages (1969-1975) de André-Pierre Arnal (210x108 cm. 1973)

Christophe Tarkos "L'enregistré"

Christophe Tarkos
L'enregistré
(P.O.L, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies... 


Extrait :

La sphère


Soit soi sur une sphère, soit soi sur un énorme ballon, élastique, soit soi sur une énorme boule, en équilibre, sur une jambe, soit soi sur une haute sphère tout en haut à son sommet, sur une jambe en équilibre, sur de longues jambes, une unique longue jambe en équilibre sur une haute sphère, soit soi sur une énorme boule, au sommet, sur la petite surface du dôme, soit soi sur une sphère, tout en haut d'une haute sphère, tout en haut d'une haute sphère en équilibre sur une seule jambe, soit soi saoul, sur une énorme boule, soit soi saoul, gros sur une grosse boule, en équilibre, soit soi complètement saoul sur une sphère énorme, en équilibre sur une seule jambe.

***

Moi

Je suis
une personne
équilibrée.
Je lis des textes.
Je suis
une personne
autonome
et
adulte.
Je regarde
des images.
Je suis intelligent 
et
sérieux.
Je suis une personne
assise.
Je suis stable.
Je suis
un homme
d'une trentaine d'années.
Je suis installé
dans les courants de pensée.
Je suis une personne non-violente.
Je suis courtois.
Je suis un être humain
et
un homme de coeur.
Je suis de gauche.
Je suis athée.
Je suis marxiste.
Je respecte la tradition
de la révolution culturelle.
Je suis lisboète
maltais
et grec.
Je suis pour
l'avant-garde.
J'ai fait 
mes études de théologie 
à Paris.
Je parle en français.
Je possède un dictionnaire de français.
Je 'ai pas beaucoup d'argent.
Je suis dans la vicissitude.
Je suis affilié, adhérent,
Je suis pour.
Je suis pour l'O.M.,
pour Blaine,
pour Milan.
Je suis pour.
Je milite.
Je suis pour
la participation.
Je participe.
Je suis pour.
Et
je travaille pour.

***


Christophe Tarkos (1963-2004) est poète, ici et maintenant. 
L'enregistré : 1 CD (de performances toutes inédites), 1 DVD (film réalisé par Akenaton, augmenté de très nombreuses archives vidéos, entretiens, etc), et pour illustrer ce coeur plus de 500 pages de transcriptions, d'annexes organisées et informatives, une préface - brillante - de Philippe Castellin, son ami, qui justifie et commente chaque choix de son travail passionné et minutieux. Une somme indispensable, parfaitement complémentaire des Ecrits poétiques (P.O.L, 2009), des Morceaux Choisis (Les Contemporains favoris, 1995) et du CD Le petit bidon (Cactus, 2001. Malheureusement épuisé), qui trace idéalement la cohérence de l'oeuvre de Christophe Tarkos, performer incomparable et inégalé (non pas le simple lecteur, mais le porteur sincère, inquiet et radical) de ses textes. Toujours inconfortablement debout. FEU !

***

 Le petit bidon

Il est important de penser
(film hommage de David Christoffel et Katalin Molnar, 2009)

Jean-Pierre Chambon "Tout venant"

Jean-Pierre Chambon
Tout venant
(Héros-limite, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...


Extraits :

Avec un crépitement
de vieille machine à écrire
la pluie d'orage aux mille doigts
saisie de fureur dactylographique
s'acharne à désécrire
les bribes de pensées
recueillies dans le cahier
laissé grand ouvert
sur la table du jardin

***

A la lisière
du bois où elle allait enfant
cueillir des violettes
la vieille dame revoit
exactement
les chenilles disloquées
la tourelle au blindage calciné
et le canon tordu
d'un tank anéanti

***

Les mots
dans leur ombre insensée persiste
portant l'écho d'une voix à venir
le rêve d'une langue transparente
tenue en réserve depuis l'enfance
qui nous ferait traverser le miroir
et dirait enfin le secret des choses

***

L'âge aura en sorte consisté
à se dépouiller
des possibilités illusoires de devenir
quelqu'un d'autre que cet homme-là
circonscrit dans son court rayon d'action
sa très modeste sphère d'influence
et qu'une circonstance fortuite
ramène aujourd'hui aux rêves confus
de sa jeunesse

***

Rameaux de prêles ombres d'ombelles
fourreau de lichen et peau de salamandre
lombrics longs comme des cordons ombilicaux
filigrane de libellule fossilisée dans la boue
bientôt s'impose à l'esprit quelque réminiscence
de la leçon sauvage des marais et des bois
quand toute chose alors balbutiait un langage
et que dans le vertige d'une flaque d'eau
s'abîmaient les corpuscules de mondes incréés

(...)

***


De Jean-Pierre Chambon, poète fantôme et défragmentant de ses presque riens, on peut lire (au moins) :
Matières de Coma (Ubacs, 1984) à chercher...
Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990)
Le Roi errant (Gallimard,1995)
Nuée de corbeaux dans la bibliothèque (L'amourier, 2007)
Trois Rois (Harpo &, 2009) ... qui est le plus fascinant ouvrage de ce poète...(une chronique ici)

Conrad Aiken "Senlin : une biographie"

Conrad Aiken
Senlin : une biographie
(La Nerthe, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...


Extrait :

Son destin nébuleux

I

Senlin est assis devant nous et nous l'avons entendu.
Il a fumé la pipe devant nous et nous l'avons vu.
Etait-il petit, roux,
Allumait-il sa pipe le regard fixe et méditatif,
Et la flamme clignotante se reflétait-elle dans ses yeux ?
"Je suis seul:" a dit Senlin, "dans une forêt de feuilles
L'unique feuille furtive qui rampe et tombe...
L'unique brin d'herbe dans un désert d'herbe
Que nul n'a prévu et dont nul ne se souvient.
L'unique coquillage qu'une vague verte rejette
En minuscules grains de blancheur sur du sable brun.
Comment me comprendrez-vous avec vos coeurs,
Vous qui ne pouvez m'atteindre avec vos mains ?"

La ville se dissout autour de nous, ses murs
Sont le sable près d'une mer.
Nous plongeons dans un chaos de dunes, des vagues blanches devant nous
S'écrasent sur le varech avec fracas,
Des mouettes roulent la mousse, les nuages en guenilles soufflent,
Le soleil est avalé... Senlin est-il devenu un rivage ?
Est-il, Senlin, un grain de sable sous nos pas ?
Senlin ! crie-t-on... Senlin ! encore... pas de réponse,
Seulement le fracas de la mer sur un sol blanc de coquillage.
Pourtant, on dirait, ce n'est pas du tout un rivage,
Mais une petite chambre claire avec une applique murale ;
Et la chaise familière
Sur laquelle Senlin s'assit, la lumière sur ses cheveux.

II

Senlin, seul devant nous, jouait une musique.
Se jouait-il lui-même ?... Nous étions assis et écoutions,
Perplexes, enchantés et fatigués.
"Ecoutez!" a-t-il dit, "et vous connaîtrez un secret -
Quoique ce n'est pas le secret que vous vouliez.
Je n'ai pas trouvé de musique qui vous louera !
Du coeur du silence vient cette musique,
Calmement elle chante et calmement meurt.
Voyez ! Il y a une étoile blanche sur les maisons noires !
Et un homme minuscule qui grimpe vers des cieux lointains !
Vers où marche-t-il ? Que laisse-t-il derrière lui ?
Quel était son nom ridicule ?
Qu'a-t-il cessé de dire avant de vous laisser
Aussi sombrement qu'à son arrivée ?
"La mort ?" cela ressemblait-il à, "amour, et dieu, et rire,
Lumière du soleil, et travail et douleur ?"
Non - il m'apparaît que c'étaient des symboles
De choses pour lesquelles il n'a trouvé aucun mot d'explication.
Il a parlé, mais a conclu que vous ne pourriez le comprendre -
Vous étiez seuls, et il était seul.
Il a tenté de vous toucher et a vu qu'il ne pouvait vous atteindre,
Il a tenté de vous comprendre, mais n'a pu vous entendre.
Et alors cette musique, que je joue devant vous,
Signifie-t-elle seulement ce qu'elle semble signifier ?
Ou est-ce une danse de vagues ridicules au soleil
Au-dessus d'une profondeur désespérée de choses invisibles ?

Ecoutez ! N'entendez-vous pas les voix chanter
Depuis les donjons de cette mer ?
Mais non : vous ne pouvez les entendre; car si vous les entendiez
Vous m'auriez entendu et m'auriez capturé.
Oui je suis là, parlant du rire,
Du rire, de l'amour, du travail et de dieu;
Comment je parlerai de ces mêmes choses à partir de maintenant
Dans l'onde et l'humus.
Marchez sur la colline et appelez-moi : "Senlin !... Senlin!"
Ne vous répondrai-je pas aussi clairement que maintenant ?
Ecoutez la pluie, et vous m'netendrez parler.
Cherchez mon coeur dans la cassure d'une branche."

III

Senlin a fait demi-tour devant nous au soleil,
Et il a ri, et est parti.
Quelqu'un l'a-t-il vu quitter les portes de la ville,
Et regarder derrière lui comme s'il désirait rester ?
Quelqu'un, dans les forêts du soir,
A-t-il entendu la triste corde de Senlin jouer lentement ?
Car quelque part, dans les mondes des mondes, autour de nous
Il s'immobiise, sans amis et seul.
Est-il l'étoile sur laquelle nous marchons à l'aube,
La lumière qui nous aveugle ?
"Senlin!" crie-t-on. "Senlin!" encore... pas de réponse.
Seul l'éclat sans âme des ciels bleus.
Pourtant on dirait, - ce n'était nullement un homme;
Mais un rêve que nous avons fait et dont le souvenir est vif;
Et nous sommes fous de marcher dans le vent, sous la pluie,
Espérant trouver, quelque part, ce rêve encore.

[1918]

***


Conrad Aiken est un grand romancier, reconnu, mais c'est un immense poète qu'on (re)découvre ici grâce aux éditions La Nerthe (qui ont également publié l'année dernière La venue au jour d'Osiris Jones). Dans un bel effort conjugué, les éditions La Barque ont récemment publié Neige Silencieuse, neige secrète, une nouvelle de Conrad Aiken toute aussi étrange et absolue. Hop !

Bruno Montels (VI) "End dans tous jours"

Bruno Montels
End dans tous jours
(Carte Blanche, 1984)

Reproduction intégrale du livre initialement publié par les éditions Carte Blanche.



























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Ce livre, l'un des plus beaux publiés par les éditions Carte Blanche (dirigées par le peintre Mathias Pérez), est initialement paru au format 25 x 32 cm. Les interventions (gouache et linogravures) sont de Georges Badin, peintre issu du groupe Textruction (avec Gérard Duchêne, Jean Mazeaufroid et Gervais Jassaud) qui a illustré - véritablement enrichi - de nombreux autres livres de Bruno Montels, Hubert Luçot, Lionel Ray, Valère Novarina, Michel Butor...

à suivre...