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Collectif "Poésie action : variations sur Bernard Heidsieck"

Collectif
Poésie action : variations sur Bernard Heidsieck
(Livre+DVD a.p.r.e.s production, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici



***

Un coffret comme un outil (presque) idéal pour pénétrer quand on ne la connaît pas l'oeuvre de Bernard Heidsieck, POETE. Tout y est. Dans le film : des interventions (très souvent didactiques, concises et cadrées) d'amis, de poètes, d'artistes, de son éditeur, des extraits de performances, et surtout la présence incomparable, directe, élégante et brutale, de Bernard Heidsieck. Dans le livre : quelques hommages (parfois pas toujours à la hauteur de leur sujet), des entretiens, quelques essais sur des marqueurs historiques et sur l'oeuvre (celui de Jean-Pierre Bobillot est, comme d'habitude, brillant), des reproductions de ses travaux visuels et de plusieurs publications, un état des lieux des oeuvres de Bernard Heidsieck dans les collections de CNAP (qui co-édite l'ouvrage), et surtout un beau texte inédit de Bernard Heidsieck. A quoi on aurait souhaité qu'il soit ajouté une bibliographie, puisqu'en quelques années les éditions Al Dante ont réédité l'ensemble de cette oeuvre majeure de la littérature du XXème siècle, la rendant accessible à tous (quand elle ne l'était qu'à quelques riches amateurs). Ce travail systématique, fondamental, d'un seul éditeur, un seul, mérite encore et toujours d'être souligné. Ce beau coffret d'introduction, que nous recommandons, sera donc facilement étendu et enrichi avec les ouvrages suivants (tous disponibles et distribués) :

L'ensemble des livres (avec CD) publiés par Al Dante
Les Tapuscrits (Presses du Reél, 2013) 
(Ouvrage monumental qui reproduit et présente l'ensemble des tapuscrits de Bernard Heidsieck).
Bernard Heidsieck Plastique (Editions Fage, 2009)
(Ce livre de François Collet, avec les participations de Julien Blaine et Michèle Métail, présente avec de nombreuses reproductions l'oeuvre plastique - une oeuvre à part entière - de Bernard Heidsieck).
Bernard Heidsieck Poésie Action (Jean-Michel Place, 1996)
(Essai de référence sur Bernard Heidsieck par Jean-Pierre Bobillot. Passionnant et indispensable).

Et de fil en aiguille, tout autour de Heidsieck....

***

BERNARD HEIDSIECK (1928-2014)

Gérard Courant Bernard Heidsieck (Cinématon #1598, 1993)

Sergueï Essénine "Journal d'un poète"

Sergueï Essénine
Journal d'un poète
(La Différence, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...


Extraits :

J'en ai assez du pays natal
à me languir d'étendues de seigle,
je vais quitter ma chaumière,
me faire vagabond et voleur.

J'irai dans l'éclat pommelé du jour
chercher quelque misérable toit.
Et de la tige de sa botte l'ami cher
affûtera son couteau contre moi.

Soleil et printemps dans les prés
inonderont la route jaune,
mais celle dont je chéris le nom
me claquera la porte au nez.

De retour à la maison du père
consolé par la joie d'autrui,
en une verte soirée, sous la fenêtre
à ma manche je me pendrai.

Lors, les chatons gris à la haie
baisseront la tête un peu plus.
Tandis que sans eau lustrale
on m'enterrera au cri d'un chien.

Cependant que la lune glissera, glissera...
plongeant ses pales dans les lacs
et toujours ma Rus', à la barrière
de danser, vivre et pleurer à sa manière.

(1916)

***

Ne m'en veuillez pas, c'est ainsi !
Je ne barguignerai pas avec les mots :
elle est alourdie, affaissée,
ma jolie tête dorée.

Ne plus aimer ni la ville, ni mon village
comment le souffrirai-je ?
Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.
Et je vais boulinguer en Russie.

J'oublierai livres et poèmes,
J'irai le ballot sur l'épaule
- au noceur dans la steppe, on le sait,
le vent fait fête comme à nul autre.

Je puerai le raifort et l'oignon.
Et troublant la torpeur du soir
me moucherai bruyamment dans les doigts.
Partout je ferai l'idiot.

Je ne réclame d'autre bonheur
que de me perdre dans le blizzard ;
Car sans ces extravagancees
je ne puis vivre sur terre.

(1922)

***

[Moscou des Cabarets]

Désormais oui ! C'est décidé :
Je quitte à jamais mes champs bien-aimés.
Plus ne bruissera au-dessus de ma tête
mon peuplier au feuillage ailé.

Sans moi la raison basse va se recroqueviller,
mon vieux cabot, lui, a depuis longtemps crevé.
Par les rues tortueuses de Moscou
à mourir, vois-tu, Dieu m'a condamné.

Je l'aime, cette ville aux grands ormes
squameuse, décrépie, qu'importe !
l'Asie d'or ensommeillée
sur ses coupoles s'est assoupie.

Et la nuit quand brille la lune - ah !
quand elle brille... et diable comment !
je vais, tête basse, par les ruelles
jusqu'à mon troquet familier.

Dans ce sinistre bouge - vacarme et chahut,
la nuit entière jusqu'à l'aube
je lis mes vers aux prostituées
et me cuite avec les bandits.

Mon coeur bat la chamade
et je lance à la cantonade :
"Comme vous, je suis un homme fini,
revenir au passé, inutile d'y songer."

Sans moi la maison basse va se recroqueviller,
mon vieux cabot, lui, a depuis longtemps crevé.
Par les ruelles tortueuses de Moscou
à mourir, vois-tu, Dieu m'a condamné.

(1922)

***


De Sergueï Essénine, qu'on ne présente plus, on peut/doit tout lire... Outre cette anthologie (une deuxième édition revue mais malheureusement mal corrigée puisque sa bibliographie n'est pas actualisée...), on peut trouver ses livres traduits en français chez CircéAliladesHarpo&L'Age d'Homme... hop !

F.J. Ossang "Venezia Central" + "Hiver sur les continents cernés"

F.J. Ossang
Hiver sur les continents cernés
(Le Feu Sacré, 2012)
Venezia Central
(Le Castor Astral, 2015)

Disponibles ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies... et sur les sites des éditeurs ici et




Extrait :

SOLEIL TRAHI
version polaire en faveur de la guérison d'un Indien du Nord-Est


Vous me causez de la pleine lune, et je ne sais que dire.

Oh, je vois où vous aimeriez en venir, mais un plissement d'ailes
me chiffonne l'intérieur.
Comme vous autre tous, j'ai marché dans la Nuit,
Sous la voûte étoilée, dans sa tourbe, et même quand elle fut aspirée
dans son orbe en métal blanc ;
ce furent parmi les plus distinguées émotions qu'il m'ait été donné
de connaître.
Pourtant, je n'ai jamais réussi à dissoudre le fond de soupçon qui
marine dans mon ventre depuis que je suis sorti d'un autre ventre,
pour tout de suite entrer dans la Nuit.

C'était un sept août, il était vers 19 heures 30.
Certains diront que c'est le souvenir des fers,
d'autres que la Nuit, et plus particulièrement quand la lune est
pleine, c'est dégueulasse et plein de sorcières.
Quoiqu'il en soit, j'angoisse toujours quand la nuit tombe.
Mais très vite, la Nuit m'excite, elle m'emporte vers la ronde
des filles et de l'alcool, et alors je commence à devenir fou,
et j'adore.
Comme ravi d'être soustrait aux ramures tentaculaires du sommeil.
J'ai toujours eu peur de m'endormir.
Pas que je sois insomniaque, non : impossible de me coucher.
Je déteste la Nuit, et pourtant j'y tourne.
Je revisite mes amis disparus dans l'amour de ses équations,
et ce soir où tous ils s'approchent, les plus jeunes,
sombres ou clairs ancêtres, j'interroge la Reine des Marées :
quand détrôneras-tu le Dernier Soleil, désormais que tous l'ont trahi,
quand viendra l'heure où nous tomberons avec eux !
Si fait je suis - nous sommes, parmi tes monstres,
apprends-moi, apprends-nous à conquérir les peuples de lumière disparus !

Vous me causez de la pleine lune, et je ne sais que dire.
Je ne combine rien, mais j'ai des ambitions.
L'âme est vague, pas de quoi en tirer gloire.
Mais j'ai besoin que guérisse un Indien du Nord-Est.
Je suis du genre flou,
l'apparition découronnée qui oscille entre l'accent des dracs,
la rage d'en découdre avec le vide, le goût de mourir vite, l'addiction
aux Gestes qui échappent, et ce besoin de tenir jusqu'au bout
que partagent les assassins classiques.
Grande passion déçue, le vécu déraille, on imagine le reste,
à peine une texture surgie de la chair, qui vous attire vers
en bas sans qu'on puisse descendre.
De la tête fus toujours roide. Tendre de l'âme. Et cassé
dans le corps.
certains disent que c'est le souvenir des fers,
d'autres que c'est le canard du doute - j'ai des lèvres de vermouth
La lune ne vaut qu'en ce qu'elle figure l'emblème
magnétique et circulatoire
qui tourne tourne
tout autour de l'indicible
blancheur où tout se noie.
Le Nord, le jour, le Soleil le soir, et les Trahis.
Il est tard, je n'irai pas dormir, il n'y a rien à faire dans le noir,
sauf une fille dans l'ombre, la glace dans l'éthyle, un peu
de neige sous les paupières, et la force de traduire la destination
polaire
d'un grand ami secret,
l'Indien du Nord-Est.
Il faut qu'il guérisse.
Le ciel est noir, sans cristaux.
La terre est morne, sans promesse.

Nous sommes tristes.
Sans personne sauf l'indien du Nord-Est.
Je ne dirai pas son nom de peur qu'on le dénonce,
comme cet autre, lors d'une autre pleine lune où comme ce soir
les sorcières coassent sans un fauve abîmé qui les inspire, non,
sans rien qui puisse les injecter au cul des enfers.
La Question reste de tenir le cap jusqu'au virage des courants.
Plus loin les dieux se déportent vers nous.
Ils reviennent, même s'il est tard dans le ciel, que Lief est partie,
que la Guerrière martèle son astre en blanc métal froid,
qu'on s'approche du 29 du mois, que Charpin n'est plus, qu'on est seul,
que les dieux se cachent dans les feuillages du druide,
que l'air s'embrouille sans flammes, que des filles dorment
sans moi, qu'il faut être vite, vite !
Le point de lumière où la vitesse d'impact et l'objet de mire
défont l'équation confuse qui nous fabrique, et nous éjecte
dans l'oeil rebelle de Quetzalcoatl.
Serpent à plume contre dévotion christique et Cap contre Cathédrale,
c'est imprécis mais plus divin des programmes si fait est que Virgem
nous sauve, relève notre front au-dessus des abîmes, renvoie
les sorcières au pajot et nous essuie le front pour de neige l'oindre.
Ah, je ris, je ris de nous voir royaux en ces temps serviles !
L'Indien file file au Nord-Est
et notre âme fonce au Centre, elle revient au monde,
elle divague et se découronne, mais les chiennes faillent comme saillies
- la pleine lune se dilue comme assouvies à notre endroit jadis
furent les Dames Qui Nous Maudissent.
la guérison de l'Indien me réveille.
Je vois qui je fus.
Je reviens à la gloire.
Ah, je ris, je ris de nous voir misérables en si riches temps !

Car les temps sont riches, ne vous déplaise,
on vise juste, on frappe fort, on rate tout.
C'est inutile, disent-elles,
c'est insensé, ils appuient,
c'est anormal, je récidive,
mais c'est ainsi : libres nous fûmes, otages nous sommes,
c'est absurde, c'est bien, c'est mal, c'est fort, c'est un sort
à défaut d'être un destin, mais c'est ennuyeux -
I wanted to be a king.
L'Indien fut-il prince de sang ? le monde le fila Nord-Est.
Je fus chien sans roi. Le monde me refila son règne de chiens.
Mais au fond, c'est nous qu'on s'en sort.

On crut qu'on avait tout faux. L'Indien manqua d'y rester. Les jours
furent sombres. La lune incertaine. Les sorcières ne savaient plus
comment devenir salopes. Les filles dormaient sans nous, l'alcool
ne valait plus l'abîme, on ne voulait plus se coucher pour les soins
d'une poudre étant donné qu'on était,
grand amour définitif Rrose Sélavy,
toutes des chiennes, même sans plus rien à répudier
et l'Indien qui file au Nord-Est !

Vrai de vrai de vrai, je me répète, mis comment dire sinon que c'est
fini quand on se honnit à pas dire juste quand on voudrait pur.
Des amantes attendent au seuil orange des âmes.
Que celles-ci-celles ou là fussent vagues, réelles ou vraies,
tout est faux : que l'Indien ait risqué de mourir au Nord-Est
puisqu'il y naquit,
que je fus serve ou roi,
puisque je ne sus que mimer rois et rebelles quand ils faussent
les défis en jeu.

L'Indien reste proche au-delà de cette nuit de sabbat,
c'est tout ce qui compte : il rallie sa meute d'enfants trahis
quand le soleil tombe, et vous qui vous crûtes les favoris exclusifs
de sorcières tournées en poufiasses, l'heure est venue de crever
en bas d'où nous ne voulûmes descendre par crainte d'ascendre
tel maudit ancêtre qui nous fit si bas en si haute époque -
ou l'inverse, les Dieux diront !

Les maldits n'ont pas décimé la meute indienne,
et cela seul compte pour nous quand on considère au terme de la Nuit
noire et sans lune où j'écivis mon aversion polaire
que nous sommes les loups qui fondront sur le chant des hyènes
dont les chiens s'abreuvent quand la lune se meut en satellite
d'autres cieux, d'autres cieux, dis-je,
qui n'attendent ni vous ni moi, mais l'Indien, l'Indien du Nord-Est
que tant de soleils trahis faillirent livrer à la mort.
Nous sommes seuls, la meute est lointaine, l'écho vient de s'éteindre,
mais il reste l'essentiel : le fond de ma prière
indicible, la vision des rois perdus à l'Antirègne,
et surtout la dépouille qu'en la dépeçant à tort et mal telles sorcières
se virent éblouies bien que nulle d'elles n'en naquît.

C'est même idiome, tout en rien sans version polaire qui nous cause,
sinon qu'il n'existe pas deux pôles, mais au moins quatre,
sinon Un Seul
dont ce Nord-Est où l'Indien manqua de nous perdre avec lui.

Le reste est clair et simple comme nous espérons l'être plus tard, bien plus tard,
quand enfin nous pourrons dire la vérité sans trahir,
tous nos jeunes et clairs ancêtres parleront dans nos bouches
aux langues de lumière, quand l'Est et le Nord dévisagent la terre
d'où l'on vient et qu'on veut qu'on se rappelle
tant c'est du Sud qu'on vient, de Sud, de l'extrême Sud,
d'une terre enfermée dans la terre,
d'une terre enfermée dans la Nuit.

(ce texte a paru en plaquette sous le titre version polaire aux éditions Derrière la Salle de Bains en 1996)

***


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(F.J. Ossang en 1976. auteur inconnu)

Le long poème Venezia central donne son titre à ce qui constitue en fait une anthologie de poèmes écrits entre 1982 et 2005 déjà publiés sous forme de petits livres devenus introuvables (chez Warvilliers, La Notonecte ou encore Derrière la Salle de Bains). Impossible de ne pas rapporter cette longue traversée de l'oeuvre poétique rare et majeure de F.J. Ossang à Hiver sur les continents cernés, une autre anthologie indispensable (comme une possible genèse de l'oeuvre ?) publiée par Le Feu Sacré en 2012, petit pavé noir regroupant les textes de F.J. Ossang parus dans la revue CEE qu'il dirigea entre 1977 et 1979. L'introduction "A toute vitesse", visible sur le site de l'éditeur, est par ailleurs le meilleur texte sur l'élan qui la porte depuis tout ce temps... 
Ce qui nous évitera d'interminables blah blah, car il est très difficile de résumer en quelques mots l'importance que revêt pour nous l'oeuvre de F.J. Ossang, poète, cinéaste (l'ensemble de son oeuvre cinématographique a été publiée en DVD chez Potemkine) et musicien (MKB Fraction Provisoire, Baader Meinhof Wagen) auquel ce blog doit rien moins (mais surtout tellement plus) que son nom (il n'aura pas échappé à quelques avertis que Cantos Propaganda est en effet le titre des trois "intermèdes" dans l'album Hotel du Labrador de MKB Fraction Provisoire qui réveillera/saccagera à jamais notre toute jeune adolescence)... Oeuvre vite, globale, profondément insurrectionnelle, sans concessions ni compromissions où dansent les fantômes de Crevel, Cravan, Artaud, Larronde, Pound, Pélieu, Burroughs, de la revenance indienne, toute la poésie TXT punk, les situs, l'expressionnisme, l'argentique, le cinéma muet, DADA, le rock'n'roll, la cadence sourde et rampante des musiques industrielles, les paysages infinis depuis l'Argentine jusqu'à la Russie, De la Destruction Pure enfin... "L'homme nouveau doit avoir le courage d'être nouveau" (Raoul Haussmann) acté.

***

Quelques liens :
Euthanasie Records (Rééditions des albums de MKB Fraction Provisoire)
Discogs (Discographie de F.J Ossang)
Potemkine (Editions des films de F.J. Ossang)
Mercure Insolent (Armand Colin, 2013. Ecrits sur le cinéma de F.J. Ossang...)
W.S. Burroughs vs. formule mort (Jean-Michel Place, 2007. Un des meilleurs essais sur Burroughs....)
Le feu sacré (Quelques entretiens avec F.J. Ossang)

Et maintenant, cherchez !

Anja Utler "vouloir affluer"

Anja Utler
vouloir affluer
(Harpo&, 2014)

Disponible ou sur commande dans (toutes) les (bonnes) librairies...




Extrait :

                                                                                                    Longtemps tu portes le feu en bouche.
                                                                                                    Longtemps tu le tiens caché.
Dane Zajc

1

et: sont battus, abattus: le bois menu
tu dis: rèche - les membres déplumés, est
entassé est: comme arraché des mains
jusqu'à ce qu'effeuillées: équeutées sont toutes
dénudées: se dressent, percent dis-tu ça
casse: entre doigt et phalange
racine de la main, oui, elles coulissent l'un contre
l'autre elles frottet: les rigoles de salive - jadis -
asséchées: rejetées contre la
mâchoire tarissante et: flamboient


2

par la salive comme: précipité, ça bouillonne,
- un jet - ça frappe: de dessous
l'os hyoïde, crame tu crépites: perce, dis-tu,
comme il rougoie ainsi: chaux fluatée
- dénudé - est: atteint - le soleil - si: anguleux
si: formellement transpercé dis-tu: vois
il darde il cuit: le brasille -
nourrit - un éclat traverse: déjà
la rosée: dans les fentes les grains scintillent,
sifflant, ainsi: ils baignent - apaisent -
l'oeil


3

luire dis-tu, éclats elles: clignotent, elles
te crépitent cete: ivraie de lumière dis-tu
ainsi: jaillissent vers toi cela foule t'imbibe -


4

atteint oui il se foule - son éclat - il
s'inhume: se fendille dans le visage
dissémine: dans les pores cela brûle: ça se 
boit: à travers l'oeil la bouche - plus profond - ainsi
sont-elles rongées dès lors battues: me crépitent
étincelantes pétillent (..) sombrent à nuveau
comme: désaffectées en galerie cendreuse éteinte
ainsi: en arrière elles élancent, en silence,
elles guerroient

***


Il s'agit du premier livre de Anja Utler traduit (par Hugo Hengl) en français, poète allemande née en 1973. Même si en fait vouloir affluer n'est que la première partie d'un ensemble intitulé affluer - délier (münden - entzüngeln, Korrespondenzen, 2004), le volume donne la pleine mesure de cette poésie, sonore et mouvante, à la fois construite et fragmentée... intriguante, fuyante, belle. Bref.
On en profite pour signaler qu'on peut lire en français un poème de Anja Utler intitulé Sybille dans l'excellente revue L'usage publiée par Victoria Xardel... Sommaires passionnants (Michel Couturier, Amélia Rosselli, Keith Waldrop, Dominique Quélen, Louis Zukofsky, Norma Cole... et - en ce qui nous concerne - de nombreuses découvertes). Abonnement de rigueur. Hop !

L'Art Brut numéro 25

L'Art Brut numéro 25
Laure Pigeon
(Collection de l'Art Brut Lausanne / Infolio, 2014)

Disponible dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de Infolio ici...


Extrait :

9) 6 Xbre 61

   Preste ardente vue sur souvenir, très tôt revenue route de terre. Clément très resté près de Lily ne sert sur elle, que des sévères suites d'agissements que les parents ont crié dressé sur route grave, sortant grave Lily tu verras que résister à des voix qui te redisent toujours que tu dois jouer ta vie sortie du chemin gros de conséquences ; tu répètes que tu n'as pas le temps de lire mais tu as bien le temps de suivre tes caprices derrière les mondanités que pratiquement tu vis Lily vois-tu rassures-toi tu restes notre espoir comme nous te l'avons dit, mais tu dois t'instruire comme te l'as dit Laure, il faut que tu apprennes ce que c'est que l'au de là, tu n'en sais rien, erreur est de croire que les quelques suites que tu as pu voir près de Laure t'ont instruits cela ne suffit pas, il faut que coque de noix soit brisée avant de sortir la noix, tu crois que créer des dessins suffira pour t'initier en vérité, autre espoir est de corser ton esprit à sortir des rêves où tu te confines le plus souvent, Gd maman reste celle qui a remis tant de vérités appelant sur toi suite de paroles exposant ses vues sur a destinée Mère t'a redit aussi tant de paroles graves que tu aurais dû te rappeler ; près de toi je suis restée pour que tu poursuives tes redressements, registre des erreurs tortueuse ta crié tout ce que tu avais à faire répétant toujours les mêmes paroles, tu voudrais que sa protection reste sur toi sans te donner aucun mal Mère n'est plus sur terre, elle doit obéir aux ordres qu'on lui donne et Pierre est là, face d'artiste qui vaut mieux que tout autre face Il n'ouvre son coeur qu'à ceux qui porte attention aux paroles du ciel tu souris à ces mots mais Pierre ne sauve que ceux qui essore leur vie revue suivant les torts, Lily mon présent mot crie il faut bien lily que tu le saches question mort ou vie tu n'en connais rien tu dois apprendre les revues de ceux qui ont été plus savant que toi, long travail j'ose te le dire te sera du plus joyeux mérite, si tu ne veux pas te conformer à cela alors reste derrière ton justiciable apport, initie-toi Lily à la vie de l'au de là car tu y viendras porter tes dû et tes avoir, triste suite pour celui qui n'a pas voulu servir, Père te redit Lily fais ce qu'on te demande car il y va de ton avenir qui doit rester derrière nous Père est resté près de terre pour tourner la page des tristesses car Lily tu nous en a fait des tristesses par ton agissement avec ceux que tu considère comme de la famille souviens-toi que Père a toujours les bras sur les biens et que sa poitrine reste arrêtée sur tout ce que tu as décidé, d'où cardage se fera selon que les parents l'ont voulu ; groupe rusé groupe gerfaut si garotté ne pourra pas tresser les réaux sur sa triste tortueuse vie, la justice de Père séparera ses mécréants de ta vie Mère te redis Lily tu vois que Père et nous tous portons sur nous tout ce que nos vies ont suivies et sagesse reste ardent secours qui veut te l'épargner ; donc Lily lit, rapporte-toi à ce que laure te dit car elle sait ce que tu dois lire pour être sortie du chemin d'où elle même est sortie Père et Mère Gd maman te serrent entre eux pour te protéger de graves vies.

***


***


Entièrement consacré à Laure Pigeon (1882-1965), figure majeure d'un art brut mystique et médiumnique dont les dessins et les textes devaient "réparer des vies antérieures", ce nouveau fasicule publie l'intégralité de ses "messages" (un corpus de 14 écrits), 55 illustrations en couleurs qui permettent de mesurer l'ampleur de son oeuvre dessinée et une passionnante étude, très poussée, de Lise Maurer. 
Curieux et indispensable, comme le sont tous les autres numéros de la collection fondée par Jean Dubuffet il y a maintenant 50 ans. Hop !

Philippe Boutibonnes "Album blanc..." (épisode 2 et fin)

Philippe Boutibonnes
Album blanc...
(Textuerre n° 10/11, 1978)














***

Comme ici on est pas du genre à abandonner (ce qui n'est pas le cas de quelques crasseux et sympathiques fainéants qui se reconnaîtront...), nous avons enfin retrouvé la publication de ce texte de Philippe Boutibonnes... dans le cadre d'un dossier Ecritures/Peintures élaboré par la revue Textuerre en 1978 (soit quelques années après sa rédaction...et loin des pistes initialement explorées). Sommaire assez parlant et typique de l'époque, du moins de ce qui se tramait autour de TXT (dont Textuerre fût une des revues satellites, nous le rappelons, sans pour autant la réduire à ce simple et un peu trop méprisant statut)... Nous reproduisons ici l'ensemble consacré à André-Pierre Arnal. Hop ! Affaire résolue.
De rien !

Amelia Rosselli "Document"

Amelia Rosselli
Document
(La Barque, 2014)

Disponible dans (toutes) les (bonnes) librairies...


Extraits : 

Pardonne les fautes comme moi je remets les terreurs
abroge les fêtes dures, les fastes, les langueurs
fête de ta chair, les
joies sonores.

Avec le bout de la langue décolorée
vers transparents
une luxure de sagesse.

J'ai vaincu juste le vice
de m'arracher la foi
au contact de mon règne d'administrations
soudaines de doutes
mon sens de la continuité par à-coups.

***

Tu cherches une justice : tu ne l'auras jamais
mais ton coeur qui dans un si large don
donna ses enfants (les vignes grimpantes)
ose, n'ose pas, veut, ne veut pas, est destiné
à être exactement comme tous les autres ?

Tu cherches une réponse avec impatience et
tu écris des vers comme ça en faisant d'un cas
presque minable (on l'appellera illustre
plus tard) une consience plus vaste et large

de tous tes mobiles.

***

Dialogue avec les Morts

vous, descendez, enlacez votre
fille qui se débat entre tombolas et
musulmans qui jouent avec ses bras
qui au contraire, blancs, voudraient enlacer
ou étrangler mais jamais manquer ces coups
que journellement ils reçoivent, pleins de
bleus et lividement promouvez une
soif de douceur et d'âpre justice
ou bien ne permettez plus que je tourmente
(et eux me tourmentent) cet esprit
qui meurt à chaque instant plein de
noeuds serrés qui encombrent sa
pleine marche vers un pays plus beau introuvable
pendant que meurt lividement aussi l'envie
d'être plus beaux que ce qu'on
est.

Descendez, et descendez encore - et enfilez
dans votre joie banale la signification
d'une vie qui sautille attristée
de la pleine puissance du mal des
autres et du mien - ne pas savoir me défendre
des envies obtuses.

Vivre un instant ou une demi-heure et après
se retrouver par une erreur de la pensée
encore plus encombré d'inessentielles 
colères !

Voix au chapitre n'eurent pas les mains
sages : je vous rencontrai pour après me faire obstinément
massacrer par vous.

Et le massacre tourne à la luxure : et
la luxure à l'extase contemplée dans
le grain syphilitique qui s'entortille à 
mon cou, épuisé par trop d'abandons.

S'abandonner au sexe vide et puis se retenir
aussi souillés par la poix noire de
la manière de faire si étroite des pauvres.

Sexe et violence abandonnèrent et
se retrouvèrent trempés ce matin
glorieux ou tout tomba en pièces, et
si la sagesse avec ses microscopiques
coutumes n'empêchent pas des troupes de se vouer
à l'angoisse, et si une petite fierté
ou erreur peut provoquer des angoisses retardées
alors la triste journée tombe en pièces
par ta brutalité féconde.

Et c'est sans défense que je bataille pour une
clarté qui n'a pas permis d'exister
jusqu'à ce que tu joues avec cette providence
qui nous imprima sur le visage cette anxiété
d'exister en dehors d'une commerciale
limitation aux plus basses envies ; mais
je vis aussi sur ton visage le sceau
de la négligence et du vide s'armer
à la mort sans penser à la vie !

***

(photographie Dino Ignani)

***

Document (1966-1973) est considéré par Amelia Rosselli comme son livre le plus important. Il est ici présenté en version bilingue, dans une traduction Rodolphe Gauthier, qui signe également une des deux postfaces (l'autre est de Olivier Gallon). Toujours très curieuse (en plus de sa beauté toujours frappante dans ses errances expérimentales et ses écarts stylistiques), on apprendra beaucoup de choses sur l'oeuvre immense de Amelia Rosselli ici.

Léon Bloy "Dans les Ténèbres"

Léon Bloy
Dans les Ténèbres
(Jérôme Millon, 2014)

Réédition disponible dans (toutes) les (bonnes) librairies et sur le site de l'éditeur ici...



Extrait :

Les nouveaux riches

   Les voilà ceux qui ne rendent pas l'argent ou qui ne le rendront qu'avec leurs tripes quand on les aura crevé sans douceur, dénouement probable dans un délai qui ne peut plus être bien long et que j'abrégerais avec une extrême joie, si c'était en mon pouvoir. Ils sont vraiment affreux.
   Les anciens riches, si formellement maudits dans l'Evangile, ne me plaisaient guère. J'ai fait tout un livre pour exhaler mon horreur de ces criminels dont c'est la fonction sociale de manger les pauvres et de les souiller en les dévorant. Je me suis même reproché de n'avoir pas été assez loin dans l'expression de mes sentiments.
   Cependant ils avaient pour eux le bénéfice d'une sorte de prescription. Quelques-uns pouvaient faire valoir on ne sait quels services rendus autrefois par des ancêtres profondément oubliés qu'une supérieure justice récompensait ainsi dans leurs descendants inutiles.
   D'autres, dénués d'ancêtres recommandables et dont l'opulence avait une source aussi cachée que celle du Nil, pouvaient invoquer la sagesse des théoriciens illustres qui ont démontré depuis longtemps la nécessité des grandes fortunes pour l'équilibre et le décor de la société. D'autres enfin, dont la richesse était d'origine franchement infâme, avaient la ressource de mettre en avant la sublimité de leurs intentions et le devoir qu'ils s'étaient prescrit charitablement de réparer les crimes de leurs pères en comblant les miséreux d'un centième de leur superflu. Et iln'y aurait eu rien à répondre, le code civil admiré de tous les notaires et le zèle béni de tous les gendarmes opposant à l'indignation des pauvres une insurmontable barrière.
   Les nouveaux riches ont une autre allure. Ne pouvant se recommander de personne en bien ou en mal, ils se recommandent d'eux-mêmes avec une cynique et merveilleuse audace. Ils ne se déclarent pas positivement des voleurs et des assassins de pauvres, mais il ne leur déplaît pas qu'on le pense et qu'on admire leur habileté.
   Songez donc ! Faire fortune lorsque la ruine menace tout le monde, utiliser les catastrophes en les aggravant, féconder la désolation, fertiliser le désespoir, être les mouches prospères et la ribotante vermine des morts, après avoir été la dernière torture des agonisants ! Ne serait-ce pas le comble de la bétise de négliger l'occasion du sommeil inexplicable de la guillotine ?
   Accaparer les subsistances, raréfier ou sophistiquer la nourriture de tout un peuple pour en décupler la valeur sont des pratiques traditionnelles que la potence rémunérait autrefois et que récompensent aujourd'hui l'admiration et l'envie.
   Il y a les grands et les petits profiteurs et c'est une question de savoir quels sont les plus hideux. Les grands assassinent les pauvres de très loin, d'une manière générale, à l'abri de telle ou telle combinaison administrative toujours mystérieuse. Les petits, ceux qu'on nomme les détaillants, égorgillent chaque jour les indigents qui leur tombent nécessairement sous la main. Admirablement concertés entre eux, ils établissent les prix qu'il veulent, réalisant des gains de 3 ou 400 pour cent. C'est la guerre ! disent-ils avec un sourire et ils triomphent dans leur turpitude, sachant très bien qu'aucune sanction n'interviendra pour désobliger les électeurs.
   Ceux-là entendent bien arriver aussi à la fortune, mais comme ils sont, à l'instar des spéculateurs de haut-vol, aussi bêtes que méchants, les uns et les autres ne songent pas à se demander quel pourra bien être le lendemain de leur ignoble victoire. Ils oublient qu'il y a, sur notre front de guerre, un million d'hommes habitués depuis trois ans à tuer des hommes, en s'exposant eux-mêmes à être tués, habitués, par conséquent, à compter la vie humaine pour peu de chose. Ils reviendront un jour, imptatients de régler les comptes arriérés. Que diront-ils au spectacle de l'inondation des canailles et de quel oeil pourront-ils voir la prospérité diabolique des mercantis qui auront affamé, torturé leurs femmes et leurs enfants, pendant qu'ils enduraient pour la défense commune les pires horreurs ?
   Il se pourrait alors que les joyeux et souriants profiteurs ne trouvassent pas assez de cavernes pour se dérober à la fureur de ces déchaînés pour qui ce serait un délice paradisiaque de les éventrer. On ne saurait trop recommander aux intéressés la méditation de cet avenir.

Bourg-la-Reine, 16 jullet-15 octobre 1917.

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Pas tendre, le Léon Bloy... qui pourrait aujourd'hui encore en redonner à nos cochons d'indignés. Ah au fait : le premier qui vient nous dire que Léon Bloy, c'est une sorte de pamphlétaire anarchiste de droite, on lui refait la gueule à coup de bottes. Capisce ?